Irene Pittatore

Irene Pittatore (Turin – Italie, 1979) est artiste et journaliste publiciste.

Elle dĂ©veloppe projets vidĂ©ophotographiques et performances Ă  forte nature participative pour des universitĂ©s, musĂ©es, magazines, entreprises, services sociaux et de santĂ©. L’art est l’instrument par lequel elle se situe tout autant dans le rĂ©el qu’elle en repousse les limites. Elle l’aborde aussi comme agent d’émancipation, de soins et d’individuation.

Elle est la cofondatrice d’Impasse, une association culturelle qui travaille pour la protection du travail artistique et pour la promotion de sa dimension publique et sociale.

En rĂ©sidence pour The Spur/ Creative Europe Ă  Es Baluard, le musĂ©e d’art moderne et contemporain de Palma de Majorque, pour ResĂČ Ă  Capacete (Rio de Janeiro et Sao Paulo), Ă  Berlin grĂące au prix Movin’ Up et Ă  Turin pour Viadellafucina Twinning Residency, elle a rĂ©alisĂ© des projets, des performances, des confĂ©rences pour Artissima, Camera – Centro Italiano per la Fotografia, Lovers Film Festival (Turin), Cittadellarte Fondazione Pistoletto (Biella), le salon ArtVerona (VĂ©rone), le musĂ©e du Palazzo Grimani (Venise), le centre d’art Santa MĂČnica (Barcelone), Es Baluard Museum (Palma de Majorque), le Festival In & Out, avec la participation de Villa Arson (Nice), la biennale des jeunes crĂ©ateurs d’Europe et de la MĂ©diterranĂ©e, Le OFF de la 12e biennale de la Havane.

Site personnel : www.irenepittatore.it.

Mon expérience du confinement

« DĂ©but mars 2020, passage Ă  notre lieu de vacances, en Ligurie. Mon mari et moi. Un horizon argentĂ© de mer sous nos yeux. L’évaporation soudaine de tous les rendez-vous de travail et l’impossibilitĂ© de les transfĂ©rer sur un Ă©cran.

Autour de moi, aucune chose familiĂšre : uniquement le lĂ©ger bagage d’un week-end.

Le robinet de la cuisine casse pendant ces journĂ©es d’enfermement domestique. Commence alors la procession de la vaisselle et des aliments vers l’unique source d’eau. Plats, ustensiles de cuisine flottent dans une baignoire, moi, Ă  genoux par terre pour les laver.

Ce qui s’est passĂ©, sans intention ni destination, c’est le retour Ă  mon corps, dispersĂ©, transfusĂ© pendant des annĂ©es dans celui des groupes de personnes avec lesquelles je travaille. Un corps qui a exigĂ© de rompre avec le sang-froid qui serait de mise dans l’état d’urgence.

C’est Ă  ce moment-lĂ  que Covid-19 isolation journal est nĂ©. Une pornographie de l’enfermement qui sombre, ou Ă©merge, dans l’interrogation et l’hallucination des objets domestiques et de leur fonctions dĂ©tournĂ©es, dans la mise en distance des aliments et des boissons, dans les rĂ©vĂ©lations de la vie emprisonnĂ©e, du ventre d’une baignoire, d’un Ă©vier – enveloppes provisoirement amniotiques, fonds baptismaux dans lesquels un corps dĂ©clare Ă  lui-mĂȘme l’écroulement de toute illusion.

Je peux inventorier les effets que le confinement a eu sur mon corps et sur celui des personnes que j’ai photographiĂ©es Ă  distance, dans le projet COVID-19 isolation portraits.

J’y trouve une cartographie minutieuse de douleurs articulaires, cervicales, abdominales. Un itinĂ©raire du gain ou de la perte de tonus musculaire, de masse graisseuse. Une taxonomie du dĂ©sir oppressĂ©, captif, de sens gonflĂ©s de fiĂšvre. Le dĂ©mantĂšlement des rĂȘves. J’ai entendu craqueler les nodositĂ© de chacun*e, exploser les sujets Ă©ludĂ©s : le rĂšgne des conflits enterrĂ©s, endormis s’est imposĂ©. Certains ont su mettre des garde-fous. Certains n’ont pas pu et se sont trouvĂ©s les yeux dans les yeux avec leur propre roi, nu. »