Geoffray Martino

Geoffray Martino, spécialisé en sciences juridiques à Aix-Marseille Université, est membre du Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutationssSociales (LID2MS, AMU). Il participe activement au programme « Droit & Arts » sous la responsabilité de Patricia Signorile.

Son objet d’étude concerne les aspects juridiques de la numĂ©risation des collections publiques. Il est Ă©galement titulaire d’un diplĂŽme de l’École du Louvre et s’intĂ©resse notamment aux liens qu’entretiennent les institutions culturelles avec les possibilitĂ©s de prĂ©servation et de diffusion offertes par le numĂ©rique. Dans un monde Ă  l’arrĂȘt, oĂč le mouvement physique est entravĂ© par la situation sanitaire, le virtuel se rĂ©vĂšle un outil essentiel (s’il ne l’est dĂ©jà
) en faveur du loisir et de cohĂ©sion sociale. L’encadrement juridique du lien entre la diffusion des Ɠuvres relevant d’un patrimoine commun Ă  tous et le numĂ©rique revĂȘt donc une importance particuliĂšre.

Mon expérience du confinement

« On pourrait penser que rester chez soi, entourĂ© de ses livres, est la posture naturelle du chercheur. Aussi le confinement ne serait a priori pas le plus grand des maux pour lui. Bien que la perspective d’un enfermement chez moi ne m’ait pas effrayĂ© outre mesure, le confinement a tout de mĂȘme Ă©tĂ© l’occasion d’une remise en question, un retour aux racines que le temps passĂ© avec soi-mĂȘme occasionne souvent. Il est vite apparu qu’aller vers l’autre n’était pas une contingence, et que maintenir le lien passait essentiellement Ă  travers les outils numĂ©riques.

Cette pĂ©riode exceptionnelle a l’avantage d’ĂȘtre passionnante selon l’approche qu’on en fait ; et s’intĂ©resser aux effets du numĂ©rique sur les rapports humains fait partie de ces approches. Si boire un verre seul en visioconfĂ©rence avec des amis a pu paraĂźtre incongru de prime abord, la pratique s’est vite rĂ©vĂ©lĂ©e ludique, et les rendez-vous Ă©tablis avec enthousiasme.

De la mĂȘme maniĂšre, se relier aux autres Ă  travers leur crĂ©ation, en accĂ©dant aux contenus numĂ©risĂ©s et mis en ligne, est devenu une nĂ©cessitĂ©. « Sortir » de chez soi n’est jamais eu autant de saveur, et puisque le faire physiquement Ă©tait difficile, il fallait le faire intellectuellement.

Ce besoin a trouvĂ© une rĂ©ponse de la part des institutions culturelles, qui ont pendant le confinement ouvert plus largement leurs contenus numĂ©risĂ©s. Participant Ă  l’utilisation croissante et massive des outils numĂ©riques comme moyen de diffusion, les musĂ©es ont pu amener aux amateurs une partie de leur collection ; toujours cependant selon leurs termes, leurs choix de numĂ©risation. En effet, si le numĂ©rique est un formidable dispositif de communication, il comporte bien Ă©videmment des limites. C’est par ailleurs ces limites qui expliquent le relatif Ă©chec de Google dans son projet de musĂ©e virtuel : fondĂ© uniquement sur l’image et ne s’adressant donc qu’à un seul de nos cinq sens, le concept sĂ©duit peu. Il manque du son, il manque de l’humain.

L’expĂ©rience du musĂ©e n’est donc pas seulement celui de la perception visuelle des chefs-d’Ɠuvre, mais Ă©galement celle d’un univers, d’un lieu sacrĂ© qui met les sens en Ă©veil. Le numĂ©rique dĂ©sacraliserait-il ce patrimoine commun ? ou ce sont les choix du gĂ©ant d’Internet, tournĂ© vers une approche (exclusivement) Ă©conomique qui ont fait Ă©chouer le projet ? Peut-ĂȘtre que le patrimoine commun ne se prĂȘte pas si bien qu’on voudrait le croire Ă  la marchandisation, l’aura qui l’entoure doit ĂȘtre prĂ©servĂ©e pour que la magie opĂšre. Le confinement l’a prouvé : avec peu de moyens, en visio-confĂ©rence comme n’importe qui, les chanteurs d’opĂ©ra livraient rĂ©guliĂšrement des performances qui ont enchantĂ© leur auditoire. C’est donc tout naturellement que la thĂ©matique de la numĂ©risation des Ɠuvres dans les collections publiques est rĂ©actualisĂ©e par le contexte sanitaire actuel et nĂ©cessite, d’un point de vue juridique, un encadrement clair qui permettrait de mettre en balance les intĂ©rĂȘts de l’institution avec ceux des citoyens, qui ne sont pas les propriĂ©taires des tableaux, mais bien du patrimoine qu’ils reprĂ©sentent. »